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Paroles de « fabriqueurs d'images »

 

 

CHRISTIAN GUILLON

 

PDG de l'E.S.T.

l'Etude et la Supervisition des Trucages

À cinquante cinq ans, Christian Guillon est devenu le spécialiste incontournable des effets spéciaux. Fort de trente ans d’expérience dans le cinéma, il s’est frotté aux effets optiques et mécaniques du cinéma, et a milité en faveur du développement du numérique. Depuis 10 ans, il dirige L’E.S.T., une société au chiffre d’affaire de 2,5 millions d’euros (en 2005), dédiée à l’étude et à la supervision des trucages. Hyper actif, Christian Guillon est également impliqué - à titre bénévole - dans des associations comme la Commission Supérieure Technique dont il est le vice-président et la Commission d’aides aux industries techniques du CNC qu’il préside depuis 2005. Entretien.

Comment avez-vous débuté votre carrière ?
J’ai débuté comme musicien de rue ! Je voulais faire du cinéma ou du cirque lorsque j’étais gamin. J’ai commencé par le cirque mais je me suis rendu compte qu’il fallait des aptitudes physiques que je n’avais pas. J’aimais un certain cinéma, comme les films des frères Prévert, L’affaire est dans le sac et Voyage surprise. J’avais l’envie d’en faire. Je suis parti sur les routes avec un cinéma forain projetant les films de Méliès. Madeleine Méliès se joignait à moi, elle venait chanter dans mon camion.


À l’époque, il n’y avait pas d’école pour apprendre les trucages. Vous entrez à l’Ecole Louis Lumière, pourquoi ? Qu’y avez-vous appris ?

J’étais dans la section cinéma où l’on apprenait la prise de vue en argentique, ainsi que la chimie et la photométrie. Le numérique n’existait pas. À la sortie de l’école, j’ai travaillé en tant que chef opérateur et puis j’ai monté une petite boîte de production, Les Films Sans Cœur, avec laquelle on faisait des reportages, des documentaires. À cette époque, tout se mélangeait pour moi : les tournées de cinéma forain, les films sur les tournées et les spectacles dans les chapiteaux. Souvent les gens disent « je suis un saltimbanque » et ça ne veut pas dire grand-chose. Mais pour moi cela a un sens, j’ai toujours vu le cinéma du côté du spectacle. C’est d’ailleurs ce côté fantaisiste, aventureux, que j’aime aujourd’hui dans les effets spéciaux.

​Comment cette expérience de chef opérateur vous mène sur les chemins du trucage ?

J’ai travaillé sur des courts métrages, des longs métrages. On m’a proposé d’être chef opérateur deuxième équipe. Le chef opérateur deuxième équipe est quelqu’un qui fait tout ce que les autres ne veulent pas faire : les prises de vues aériennes, les trucs un peu bizarres avec des maquettes... Très vite j’y ai pris goût.

Dans les années 80, je suis entré à Terminus, une société de post production pour des publicités qui réalisait des effets optiques. Lorsqu’on faisait des incrustations, on procédait avec des caches/contre-caches qu’on dessinait. Les trucages se faisaient encore à la main et à la règle.


Les images produites par les ordinateurs n’existaient pas encore, vous allez assister à la naissance d’une nouvelle ère…
Chez Terminus on avait commencé à s’équiper en outils informatiques d’assistance aux outils optiques. Il n’y avait pas encore d’images numériques au sens où on l’entend aujourd’hui. Par contre on commençait tout juste à avoir des images de synthèse produites par des ordinateurs. J’ai quitté Terminus pour travailler en indépendant. L’unique (1986, nldr) a été le premier film français dans lequel le metteur en scène J. Diamant-Berger a voulu mettre des images de synthèse. Avec les ordinateurs à l’époque, on était simplement capable de faire des petits carrés ou des cubes. Dans ce film-là, on a incrusté des images de synthèse. C’était très hybride et très balbutiant. Il n’y avait qu’une société en France qui produisait ces images et il n’y avait aucun logiciel sur le marché. Il fallait taper des lignes de codes pour obtenir et animer des objets très simples…

J’ai ensuite travaillé sur Les Mille et Une Nuits de Philippe de Broca où on a introduit des images de synthèse un peu plus sophistiquées, mais le compositing (l’incrustation de la 3D dans la prise de vue réelle) se faisait toujours en optique à la truca (c’est-à-dire une sorte de tireuse optique).


Vous avez vécu les premières numérisations des images cinéma…
Au début des années 90, j’ai été embauché par Ex Machina, une filiale de Thomson qui était l’une des deux plus importantes sociétés d’images de synthèse françaises. Pendant quelques années, j’ai fait des films en full 3D pour des parcs d’attraction situés aux États-Unis, en Corée ou au Japon. Au cours de mes voyages, j’ai pu me rendre compte qu’il existait un nouvel outil pour numériser les images de cinéma. C’était le premier scanner. À partir de là, je n’ai jamais plus touché au trucage optique. Jusqu’en 1992-94 il n’y avait pas d’outil pour faire entrer les images de cinéma dans l’ordinateur. C’est seulement avec le scanner qu’il est devenu possible de manipuler par ordinateur des images à haute définition. Encore une fois c’était très rudimentaire. Cette époque était passionnante parce que tout était à inventer. Lorsqu’on avait quelque chose à faire, il fallait créer l’outil pour le faire. En même temps on avait de grosses difficultés notamment pour respecter la qualité de l’image.

Vous créez votre société « L’E.S.T. » en 1997.
 

Dans les années 80-90 on avait appris à faire des choses qui n’existaient pas. À la fin des années 90, on avait besoin d’architectes pour dire à quoi allaient servir ces nouvelles techniques. J’avais envie d’être plutôt celui qui réfléchit à l’utilisation créative de ces outils. L’E.S.T. est dédié à la conception, à la maitrise d’œuvre, à la coordination, à la supervision… On fait quelque chose qui ressemble à de la production d’effets spéciaux et on ne fabrique pas tout nous-mêmes. On travaille en partenariat avec d’autres sociétés. D’ailleurs aujourd’hui on est en train de faire un ultime réajustement de cible : on ne va plus fabriquer du tout. Par exemple nous finissons aujourd’hui le troisième volet d’Astérix. C’est vraiment le premier film sur lequel le concept d’ingénierie a pris tout son sens et où nous n’avons rien fabriqué mais coordonné quatre sociétés d’effets spéciaux.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de truqueur de ces dernières années ?
On a fait un film qui s’appelle Lord of War d’Andrew Niccol dans lequel on a fait une belle séquence en 3D qui raconte l’histoire d’une balle de kalachnikov. C’est à la fois très spectaculaire et porteur de sens. Dans Le Boulet de Alain Berberian et Fred Forestier (produit par Thomas Langmann),  se trouve une séquence où la grande roue à Paris s’effondre. C’est un très un bel exemple de coordination puisque dans cette séquence une partie est faite en images de synthèse et une autre en maquette. La partie maquette est importante. Notre travail a été de concevoir le processus à mettre en œuvre pour les trucages de cette séquence, de les coordonner et de mélanger les deux techniques.


D’hier à aujourd’hui, les processus – effacer, ajouter, multiplier - dans les effets spéciaux sont restés les mêmes ?

Toutes les manipulations d’images qui se faisaient plus ou moins bien en optique se font aujourd’hui en numérique. Le Matte Painting est de ce point de vue-là emblématique puisque cette technique a démarré à la prise de vue avec une glace peinte – on peignait une image sur une glace qu’on mettait devant la caméra. Ensuite cette technique a migré vers la postproduction optique et aujourd’hui, on le fait en numérique. Mais le principe est resté le même : on mélange une image graphique à une image réelle.


Les effets spéciaux offrent-ils une plus value au film ?
Dans les films français, les effets spéciaux ne font pas le film. Ils le servent s’ils sont bien conçus et sinon le parasitent. Par ailleurs, on se trompe en disant qu’il y a d’un côté les films qui font des effets spéciaux et de l’autre les films d’auteur qui n’en font pas. C’est complément faux. Les films d’auteurs font des trucages. 80 % de notre volume travail, ce sont des films d’auteur pour lesquels les effets spéciaux ne se voient pas. Ce sont des effets naturalistes…
Le numérique a apporté la capacité à fabriquer des images impossibles, des images chimériques. Les trucages, cela permet de rendre visible quelque chose qui pourrait exister mais qu’on n’arrive pas à filmer par les moyens traditionnels. Tout d’un coup on peut donner une image réaliste d’un objet ou d’un événement qui est rigoureusement impossible dans le réel. Le regard du spectateur et la façon de faire des films ont déjà complètement changé.

Propos recueillis par Donald James, dans le cadre de la 8e édition, " Après le tournage "

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